Interview avec le groupe Shame pour la sortie de son premier album, Songs of Praise
Difficile à joindre à cause de son énorme tournée mondiale, qui fait de généreuses étapes en Australie et aux Etats-Unis avant de revenir en Europe, le surbooké groupe anglais de punk rock Shame a quand même répondu à notre demande d'interview à force de persévérance... Quatorze mails (on exagère un peu... ) à la maison de disques Dead Oceans plus tard, sans parler des quelques échanges avec le fantasque road manager italien du groupe, le dénommé Kiko, on réussit à caler une session skype avec les cinq jeunes musiciens lors d'un "day off", juste après leur live pour la radio KEXP à Seattle. Ils sont tous là, ils sont beaucoup moins énervés que sur scène, ils sont souriants et aimables, ils ont l'air d'avoir envie de parler, mais après six ou sept essais d'une durée de une à deux minutes, on est obligé de reporter au lendemain. Il faut dire que quand on accorde une interview via un téléphone portable dans un van qui roule, il y a peu de chance que la vidéo ne coupe pas. Le lendemain matin aux USA, il n'y a pas d'électricité à l'hôtel où loge le groupe, on ne peut pas faire de skype, et seul le batteur Charles Forbes (dont le père tenait le pub où répétait le combo à ses balbutiements) est à peu près réveillé pour parler de "Songs Of Praise", l'un des meilleurs disques sortis en 2018 (chronique à lire ici), au moment où on écrit, fin février, et sans aucun doute encore à la période des classements de fin d'année, au mois de décembre...
Vous avez mis pas mal de temps à publier " Songs Of Praise ", qui s'avère être un très bon premier album... Tu peux nous raconter dans quelles conditions vous l'avez enregistré ?
Charlie Forbes : L'enregistrement s'est très bien passé, c'était vraiment cool à faire ce disque ! On a passé dix jours dans un studio au Pays de Galles, c'est un endroit à la campagne, très calme, au milieu de nulle part, il faisait soleil, on a pu se relaxer à fond et bosser de manière détendue sur les dix titres de l'album. C'est l'endroit dont on avait besoin pour pouvoir se poser et enregistrer ! Le studio est en fait une ferme qui se situe assez loin d'un petit village, c'est pour ça qu'on a voulu poser avec des petits porcinets sur la pochette du disque, ça nous évoquait la période de l'enregistrement. Et puis on voulait montrer qu'on est des mecs sympas, pas de dangereux tarés, comme pourrait peut-être le laisser penser notre musique !
L'album est très, très bien bien produit... Qui s'est chargé de la production, qui est hyper percutante ?
Ah, merci, c'est cool que ça te plaise ! La production de l'album " Song Of Praise " a été assurée par Dan Foat et Nathan Boddy, qui en général bossent sur des disques électro ou techno, c'est la première fois qu'ils travaillaient avec un groupe à guitares. On a pris notre temps avant d'aller en studio, il fallait trouver les bonnes personnes pour assurer le job, car on ne voulait pas juste avoir une version studio des chansons qu'on jouait en live depuis quelques temps, on avait envie d'avoir un gros son punchy, bien " dans ta face ", mais avec de l'espace pour chaque instrument. Dan et Nathan ont parfaitement compris où on voulait aller, et on est super contents du résultat final !
Vous êtes très jeunes et pourtant vous faites du rock à guitares alors que les gens de votre âge écoutent et font plutôt du hip hop en général... Comment êtes-vous tombés dans le rock ?
On écoutait pas mal de choses différentes quand on était ados (dont du hip hop, si ça peut te rassurer... ), puis quand on a fini nos examens vers 16 ou 17 ans, on a eu un très long été à glander, on se faisait pas mal chier et on a décidé de s'amuser avec des guitares - même si on ne savait pas du tout jouer au début - et donc de monter un groupe de rock. C'est venu naturellement, il n'y avait pas beaucoup d'autres options sur la table pour nous, on n'allait pas faire un groupe de jazz, hein ! A notre niveau, on joue simplement la musique qui nous plaît, en espérant ramener les guitares sur le devant de la scène avec les autres jeunes groupes qui évoluent dans le même esprit que nous...
J'ai vu sur vos comptes Facebook et Instagram que vous vous entendiez bien avec les groupes Idles et Dream Wife... Vous pouvez nous parler d'eux ? Il y a d'autres groupes dont vous êtes proches actuellement ?
Ouais, on est fans d'Idles, on les a beaucoup croisés partout en Europe sur des festivals, on s'entend super bien ! Et puis leur disque "Brutalism" est une véritable tuerie, on l'adore ! On a rencontré les Dream Wife en Australie, on a traîné ensemble, elles sont cool... Sinon, en ce moment il a pas mal d'excellents groupes qui sortent de Grande-Bretagne et particulièrement de Londres : on aime beaucoup les groupes Sorry, Goat Girl, HMLTD. Dans le lot, il y a aussi Black Midi, qui a joué avec nous à Paris en décembre 2017.
Au début du groupe, quels sont les artistes qui vous ont donné envie de jouer ensemble dans le pub du Sud de Londres où vous répétiez alors ?
Il n'y pas eu des groupes en particulier qui nous ont poussés à jouer ensemble et à faire de la musique, on écoutait pas mal de post punk et de punk à l'époque, on a été influencés par les groupes qu'on a vus en live et qui avaient un son bien agressif. Mais je ne peux pas te citer des artistes précis, on allait réellement voir pas mal de concerts à ce moment-là, on se passait beaucoup de trucs différents à la maison et on n'aime pas trop citer tel ou tel groupe...
Vos textes parlent de la vie quotidienne des jeunes Anglais et peuvent être engagés politiquement, vous espérez faire sortir les gens de votre âge de leur apathie ?
Oui et non, on n'essaye pas de faire descendre les gens dans la rue avec nos textes, en général c'est plus un commentaire social sur ce qui se passe à l'heure actuelle... En Angleterre et dans le reste du monde, on traverse une période assez merdique et particulièrement trouble, un peu comme à l'époque où The Fall et Joy Division ont commencé, on essaie de parler de ce qu'on ressent dans ce contexte assez pourri.
Vous avez écrit une chanson nommée " Visa vulture ", qui parle du Premier Ministre anglais, Theresa May... Elle a l'air de bien vous énerver cette dame !
Oui, clairement, on peut le dire comme ça, elle nous porte sur les nerfs Theresa May ! Mais ça fait pas mal de temps que c'est le cas, en fait on a écrit la chanson avant qu'elle ne devienne premier ministre. Et d'ailleurs, puisqu'on en parle, c'est une blague qu'elle soit à ce poste ! Quand on a fait le morceau, elle était secrétaire d'État à l'Intérieur, on n'appréciait pas du tout sa politique sur l'immigration, elle faisait expulser beaucoup de gens démunis du pays et avec ses " sympathiques " amis du parti ultra conservateur elle menait une politique contre les gens les plus modestes en général. Bref, ça n'a pas changé, on n'aime pas du tout la politique qu'elle mène actuellement, on n'est vraiment pas de grands fans de cette personne !
Pourquoi cette chanson "Visa Vulture", que vous avez surnommée " the world's worst love song ", n'est pas sur le disque ?
On l'a faite bien avant la sortie de notre premier disque... Ce n'est pas qu'on ne l'aime pas, mais on trouvait qu'elle n'allait pas avec les autres titres de l'album. C'est bien que ça reste un titre à part, qui est sorti ponctuellement pour décrire notre état d'esprit du moment...
Comment procédez-vous pour écrire les chansons de Shame ? Qui fait quoi ?
En général, les autres membres du groupe qui jouent d'un instrument (ndr : Josh Finerty, basse, Eddie Green, guitare, Sean Coyle-Smith, guitare) et moi, on jamme ensemble en essayant de mettre en commun les idées de morceaux qu'on a eues... Charlie Steen, notre chanteur, se charge de l'écriture de tous les textes, et on bosse tous ensemble sur la musique des morceaux. Cela dit, tout le groupe est là pendant le processus de création des titres, et chacun donne son avis et intervient comme il le veut. En bossant comme ça, de manière démocratique, ça rend les choses plus longues - du coup, on met pas mal de temps à finaliser nos morceaux - , mais en utilisant cette méthode on est plus créatifs je trouve...
Peux-tu parler du titre de l'album, " Songs of praise " ? C'est le nom d'un programme religieux sur la BBC je crois, non ?
Oui, c'est une émission qui passe des chants religieux, et bien évidemment c'est regardé par un public très âgé. On trouvait ça marrant d'appeler l'album comme ça alors qu'on ne fait pas exactement dans la chanson religieuse, qu'on ne joue pas dans des églises et qu'on est encore assez jeunes... Le contraste nous plaisait bien !
C'était fun de faire des photos habillés en enfants de chur dans une église ?
Oui, on s'est bien marrés à faire ce truc ! Il nous fallait des photos pour la sortie de l'album donc on a décidé d'adopter des looks de jeunes communiants et d'aller dans une église pour le shooting. Avec les vitraux derrière, nos têtes de gamins en train de prier en lisant la bible, ça rend pas mal, non ?
Yep ! Le riff de la chanson " Donk " est inspiré par celui d'" I wanna be your dog " d'Iggy and the Stooges, et Charlie a un jeu de scène évoquant l'iguane... C'est une influence pour vous ?
Ah oui, c'est vrai que " Donk " fait un peu penser à ce tube d'Iggy ! Josh, le bassiste, et Charlie, le chanteur, sont de gros fans des Stooges et donc on a tous pas mal écouté ce groupe et ça a dû nous influencer inconsciemment pour ce morceau.
Le génial Mark E. Smith vient de mourir, et l'on sent l'influence de son groupe The Fall chez vous... C'est un modèle pour vous ?
Comme pour les Stooges, c'est surtout Josh et l'autre Charlie du groupe qui sont super fans de The Fall. Mais ses chansons et ses " mauvaises manières " nous parlent clairement à tous ! On aime aussi le fait qu'il donnait une importance primordiale à ses live shows, et qu'il ait dit qu'il voulait mourir sur scène...
Vous étiez à Seatlle il y a peu, ça vous a fait quelque chose d'être dans la ville du grunge et de Kurt Cobain ?
Oui, on est allés près de la maison où Kurt Cobain s'est tué. On était dans la ville où il a vécu pile le jour de son anniversaire, c'était assez bizarre comme tu peux l'imaginer... Nirvana est un groupe important pour nous, ça faisait partie de mes artistes favoris quand j'avais quatorze ou quinze ans, Josh était également à fond... Je ne dirais pas que Nirvana a eu une grosse influence sur le son de Shame en tant que groupe, mais comme on était de passage ici à Seattle c'était important pour nous d'aller lui rendre une petite visite.. C'était un mec bien !
C'est votre première tournée mondiale, vous êtes allés jusqu'en Australie et vous êtes actuellement aux USA. Pour un jeune groupe ce doit être génial de faire le tour du monde avec ses chansons ?
Ah oui putain, c'est complètement fou ce qui nous arrive ! On a fait un paquet de dates en Australie et on a passé pas mal de bon temps là-bas... Là, on est en tournée au Etats-Unis, ça se passe super bien, on découvre plein de villes nouvelles pour nous, comme Los Angeles. Ce soir, on joue à Chicago et c'est complet, c'est dingue !
Une amie qui était à votre concert à San Francisco m'a dit que le public était un peu mou par rapport au public européen.... C'était le cas ? C'est bizarre de ne pas devenir dingue avec les shows complètement hystériques que vous donnez ! (cf la chronique du concert lors du festival Europavox)
En France jusque-là on a eu droit à un public gonflé à bloc, qui pétait bien les plombs quasiment sur chaque date... L'autre jour à Seattle c'était cool aussi, à San Francisco c'était un peu plus calme mais en général, ça se passe bien, on a de la chance ! A Londres ou dans certaines très grandes villes, ça peut arriver de tomber sur des publics un peu blasés car ils peuvent assister à de super concerts avec les meilleurs groupes du moment quasiment tous les soirs de la semaine.
Le côté très anglais de votre disque est peut-être difficile à appréhender pour certains Américains ?
Je ne pense pas que ce soit vraiment le cas... Ce qu'on fait est assez universel je pense, ça peut être compris par tout le monde. D'ailleurs, aux Etats-Unis, il y a pas mal de gens qui chantent les paroles lors de nos concerts.
Pour conclure avant de te laisser rejoindre les autres et monter dans le van, est-ce-qu'il y a une chanson qui t'énerve quand tu es forcé de l'entendre à la radio ou à la télé ?
Ah, oui, y'en a une qui m'exaspère totalement en ce moment, c'est " Shape of You " d'Ed Sheeran, je déteste ce truc ! Ça passe absolument partout et tout le temps, donc on tombe sur cette horreur sans le vouloir quasiment tous les jours, j'en peux plus putain !
Shame est en concert à La Maroquinerie à Paris le 23 avril 2018, à Rock School Barbey à Bordeaux le 17 mai, au festival Wine Nat White Heat à Nantes le 18 mai, à l'Aéronef de Lille le 20 mai, au festival Solidays à Paris le 22 juin, au festival Garorock à Marmande le 28 juin, au festival de Dour le 11 juillet, aux Nuits Secrètes à Aulnoyes le 27 juillet, à La Route du Rock à St-Malo le 17 août et à l'Elysée-Montmartre à Paris le 14 décembre. Infos et billets ici...
Liens : www.facebook.com/shamebanduk, twitter.com/shamebanduk, shame.world, www.instagram.com/shame...
Photo n°1 : pochette album, n°2 : Bolade Banjo, n°3, 4, 5 & 6 : Holly Whitaker
Aide précieuse pour la traduction des questions lors de la préparation de l'interview : Olivier Benjamin.
Interview réalisée le 23 avril 2018 par Pierre Andrieu
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