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Chronique de concert Entretien avec Yael Miller
Mercredi 25 décembre 2024 : 6829 concerts, 27255 chroniques de concert, 5420 critiques d'album.
Entretien avec Yael Miller
L'entretien se déroule fin mai, dans un petit pub au cachet évident près de la place des Vosges, le Pure Malt. On y écoute du rock, regarde des compétitions sportives et y fait de superbes rencontres autour d'un verre sous la bienveillance de Shep, le boss du lieu ! Yael Miller est une jeune chanteuse israélienne découverte lors d'un showcase (organisé à l'occasion de la sortie de son premier EP) il y a 2 ans à la Dame de Canton. C'est une artiste inclassable à qui on a affaire : ni réellement jazz, ni pop, ni indie, ni rock mais tout cela à la fois. Personnage atypique, elle évoque son parcours tumultueux pour Concertandco !
Comment as-tu débuté la musique ?
Mon père est scénariste pour le théâtre et ma mère, orthophoniste. Lorsque j'était petite, ma mère voulait juste que je joue avec mes frères et surs lors des fêtes, elle ne voulait surtout pas que je devienne musicienne, un métier à risques selon elle. Elle aurait préféré que je devienne psy ! J'ai pourtant appris très tôt le piano classique. A 6 ans en voyant Rita, la Céline Dion locale à la télévision, j'ai alors dit : "je veux devenir chanteuse !". Au grand dam de ma mère espérant que ce n'était qu'une lubie passagère. J'ai toujours aimé apprendre le solfège, prendre des cours de chant tout en perfectionnant le piano. Vers 15 ans, j'ai souhaité me diriger vers un lycée pluridisciplinaire autour des arts, de la musique et de la création (NDA Le Conservatoire/lycée Igal Alon). J'ai échoué à l'examen. Mais animée par une volonté exceptionnelle et un peu d'entêtement, j'ai débarqué dans le bureau du directeur lui disant qu'en gros ma vie en dépendait. J'y suis restée 3 années, dans la spécialité chant, piano et trombone. Une fois diplômée, j'ai été appelée pour effectuer mon service militaire (obligatoire pour les hommes et les femmes). Je craignais de perdre ma technicité et mon goût très prononcé pour la création musicale. J'ai obtenu le statut d'"outstanding musician", c'est un statut un peu spécial sur concours, cela existe aussi pour les sportifs et danseurs. J'ai finalement été réformée.
Tu étais alors obsédée par New York ?
Oui, cela symbolisait l'essence même du jazz pour moi ! Et c'était le moment opportun de m'y rendre. J'idéalisais complètement. En Israël, le domaine de la culture était alors assez limité. J'ai donc quitté Tel Aviv et pris un aller simple (NDA : un fake A/R sans date de retour précise en gros). Un oncle vivait sur place, il était danseur de claquettes. C'est plus facile d'avoir un point de chute. J'y suis restée 1 an. Cette ville m'a impressionnée. J'y ai aussi retrouvé des gens de mon lycée, ils interprétaient des standards dans différents lieux, moi je voulais créer et transcender les genres : jazz, klezmer, classique, rock, même metal ! J'ai vécu de mes économies, ce fut une expérience significative dans ma construction. J'ai pu réfléchir à comment me "positionner" au sein du monde de la musique. Je suis ensuite retournée en Israël et ai fait des petits boulots pendants quelques temps.
Comment s'expliquent tes liens très forts avec la Suisse ?
J'ai eu une proposition pour intégrer un groupe Français, A Cappella, c'est d'ailleurs à ce moment-là que j'ai appris votre langue. Et puis j'ai rencontré un violoniste suisse et me suis installée à Genève. Cette ville est en moi désormais. J'ai intégré l'AMR (Association pour l'encouragement de la Musique improvisée), une structure incroyable qui aide les artistes, propose des concerts, est lieu de répétition... J'ai également été recrutée comme secrétaire et j'enseigne depuis 2 ans également au Conservatoire Populaire de Genève. Grâce à cette collaboration, des liens indéfectibles ont été tissés.
Désormais tu vis à Paris ?
Exactement, depuis quelques mois je suis en résidence à la Cité Internationale des Arts. Je bénéficie ainsi d'une bourse via le programme de la Ville de Genève - Fondation Simon I. Patino. La Cité m'a d'ailleurs proposé de jouer en février dernier, ce fut un grand moment ! Ce lieu est un peu l'ONU de la culture. J'ai été exposée à un nouveau monde, composé majoritairement de plasticiens. Environ 400 personnes y séjournent.
De qui es-tu entourée ?
Il y a eu des changements dans ma vie et pour développer ma carrière, je pense que c'était une étape essentielle de venir à Paris, ville qui compte également énormément pour moi. J'ai été littéralement boostée par mes 2 fidèles amis musiciens : Baptiste Germser, à la basse et Roland Merlinc à la batterie. J'ai d'abord rencontré Roland puis il m'a présenté Baptiste. Ensemble, nous avons enregistré et produit les deux disques (Le EP et l'abum "00-08") dans le studio parisien de Baptiste Germser nommé "L'Atelier 18". Ils ont cru en moi et m'ont aidé à développé ma musique durant des heures et des heures pour en faire ce qu'elle est aujourd'hui ! J'ai rencontré mon agent chargé des relations presse, Laurence Haziza sur le conseil de Jakob Graf, programmateur de Musique en été à Genève, et qui a aussi managé Mama Rosin (NDA : qui a été produit par Jon Spencer). Elle est parisienne et m'a permis d'ouvrir bien des portes, j'adore son côté atypique. Sans elle, je n'en serais pas là aujourd'hui et pas face à toi par exemple !
Tu évoquais la scène, quel est ton ressenti quand tu es face au public ?
Avant de me lancer en solo, je faisais parti d'un groupe, Orioxy avec Roland Merlinc déjà. Ce quartet a existé 8 ans et a pas mal tourné en Europe, on avait notamment gagné le Grand prix du jury du XXIIe Tremplin Jazz Européen d'Avignon. Je me suis sentie un peu à l'étroit dans cette formation et mon attirance pour le songwriting n'avait jamais été aussi forte. J'écris des paroles brutes sur des choses qui me touchent profondément. J'ai toujours aimé être sur scène et capter une audience, j'ai besoin de m'exprimer à travers ma musique mais aussi de parler au public, de me sentir proche. Et comme je sais que je suis bien entourée (par Baptiste et Roland), je peux donc parler aux spectateurs afin de contextualiser tel ou tel titre pour que tout le monde se sente concerné lors de mes concerts et pouvoir l'emmener avec moi !
Tu te produis également au théâtre ?
J'aime aussi interpréter des personnages, j'ai joué dans 3 spectacles que je qualifierais de "théâtre avec de la musique".
"Le choeur des femmes" de Michèle Milner est une pièce où 17 autres actrices ou musiciennes, sur le lien mère/fille. D'ailleurs, je considère qu'on doit toutes être solidaires entre femmes et s'accepter, on ne devrait pas se rabaisser, c'est un des principes de la liberté. Le soutien et l'entraide cela compte énormément pour moi.
Enregistrer un album, cela se passe de quelle manière ?
Je suis soutenue par la ville de Genève (toujours !) depuis mon 1er EP paru en 2017 où figurait "I left it all" notamment. Je suis adepte de l'autoproduction : avec Roland, dès qu'on se dit que l'on va créer en toute autonomie, la magie opère. Baptiste possède un petit studio d'enregistrement près du Panthéon et une collection de synthés analogiques assez impressionnante. Pour composer le dernier album, "00-08", on a écrit les 10 titres assez rapidement, toutes les idées ont été retenues. J'en suis très fière. De cet album a été tiré le clip "Angry" qui marque les esprits sur l'exploitation de la femme autour du consumérisme. J'ai remporté le concours "Picture My Music" qui m'a permis de mettre en image cette chanson. Mei Fa Tan, vidéaste suisse, a réalisé une vidéo qui est vraiment marquante. Selon moi, face à une situation d'injustice humaine, chacun doit pouvoir légitimer une colère. J'ai adoré cette collaboration, j'y apparais comme figurante masquée, c'est la première fois que je suis sur un projet militant où la revendication me semble juste. Le tout nouveau clip "Forget about you", toujours issu de mon album, a été produit par Rebel Eye, une équipe genevoise. Les acteurs Safi Martin Yé et Raphaël Tschudi sont remarquables, j'y fais une petite apparition hitchcockienne... Dans cette vidéo, on peut comprendre que celui qu'on croit aimer n'est pas forcément l'être le plus fréquentable !
Trouver des dates de concert, est-ce simple ?
Je démarche moi-même les salles, c'est une part non négligeable de mon métier d'artiste, il faut savoir persévérer. J'espère pouvoir monter une tournée à l'automne.
Une anecdote qui n'en est pas une ! Tes productions sortent également en vinyle ?
J'ai édité 300 vinyles de "00-08", cela me tenait à coeur, même si financièrement cela est un peu coûteux. Ils sont vendus lors des concerts.
L'album "00-08" est sorti fin 2018... De nombreuses vidéos très marquantes sont disponible sur le site de Yael Miller : yaelmillermusic.com
Photos : Lauren Pasche
Interview réalisée le 13 juillet 2019 par Samuel C
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