Entretien avec le groupe Fauve
Dans un chaos urbain post-moderne, Fauve dresse ainsi le portrait tantôt rêveur, tantôt acerbe d'une génération Y qui se désagrège dans l'individualisme et la certitude résignée de lendemains qui déchantent, une génération qui rit de tout, à commencer par sa propre médiocrité, mais qui se révèle un impérieux besoin d'exorciser ses craintes dans un bouillon artistique dont ressortent quelques pépites comme les quelques morceaux que le groupe a balancés - gratuitement - sur Internet. Déjà signés chez le tourneur Astérios et courtisés par tous les plus grands labels du pays, sans exception, les membres de Fauve sont déterminés à prendre leur temps et à autoproduire leur premier EP (à paraître le 20 mai). Rencontre avec un groupe atypique, dont vous entendrez beaucoup parler ces prochains mois.
Je vais commencer par une question que je pensais mettre à la fin, parmi les questions plus légères, parce qu'elle a une forme un peu provocante, mais en fait ça vaut la peine de commencer par celle-là : vous refusez généralement d'être identifiés individuellement dans les interviews que vous donnez, au profit du pronom indéfini "on", est-ce que cette volonté de diluer l'individu dans le collectif fait de vous un groupe communiste ?
Non ! [Rires] On n'est absolument pas engagé politiquement. Si on essaye de ne pas être identifiés, c'est que ce n'est pas ça l'important, ce n'est pas ça qu'on veut véhiculer. On n'a pas envie que ça biaise le truc, que ça mette un filtre sur le message ; ce qui est important, c'est le propos lui-même. On ne se cache pas pour autant, en concert on ne porte pas de masques, mais ça n'apporterait pas grand-chose que les gens connaissent nos identités. Et puis nos textes sont assez personnels, on n'a pas forcément envie que les gens mettent des visages sur ces mots.
Vous contribuez tous à l'écriture des textes ou c'est vraiment Quentin, le chanteur, qui est le seul parolier ?
En fait, Quentin amène la base, sous la forme de liasses de textes, avec des thèmes différents, et à partir de là on se pose tous pour les mettre en forme, sélectionner certaines parties et commencer à les adapter au format chanson, en cherchant par exemple un refrain, des phrases à mettre en avant. On lui suggère aussi des modifications, des ouvertures sur tel ou tel sujet. Ça se fait vraiment beaucoup dans la discussion, même si l'écriture elle-même reste celle de Quentin.
Même si ces textes ont une portée générale et que tout le monde peut se retrouver dedans à un moment ou à un autre, ils sont quand-mêmes assez personnels, du coup comment font les musiciens pour exprimer leurs propres idées et leur propre ressenti à travers ces mots qui ne sont pas les leurs ?
En les retravaillant derrière, justement. Sur un titre, il peut y avoir jusqu'à dix pages de texte et on en jette 90% pour ne garder que ce sur quoi on est tous d'accord. Il y a des choses que Quentin peut écrire et que les autres n'assumeraient pas, auquel cas on ne les garde pas. C'est très important que tous les textes soient assumés par tout le monde.
Puisqu'on parle des textes, quelles sont vos influences littéraires ?
On n'a aucune volonté de se référer à quelque influence que ce soit du point de vue des textes, le seul parti pris, c'est de raconter des histoires comme tu les raconterais à un pote. Donc il n'y a pas d'inspiration littéraire identifiable, on cherche juste à mettre les bons mots sur les choses, de bien transmettre notre ressenti. On se réfère plutôt à des démarches, on cite souvent des gens comme Jim Harrison, Albert Dupontel, Aimé Jacquet, Robert De Niro... plus que des auteurs ou des musiciens en particulier.
D'ailleurs vous citez souvent des influences en rappelant qu'on ne les retrouve pas telles quelles dans votre musique, par exemple le Wu-Tang Clan...
Ce serait plus facile pour les auditeurs que pour nous de donner nos références. On écoute tous des trucs tellement différents que c'est vraiment difficile de répondre à cette question. Et puis on n'est pas tout jeunes non-plus : à 27 ans, t'as déjà 15 années de culture musicale derrière toi, t'es passé par différentes phases, on a écouté du punk rock, de la pop, du rap, un peu de jazz... En tout cas, on ne réfléchit pas du tout à des influences quand on compose ou qu'on écrit.
Vos textes en spoken word sont déjà assez difficiles à interpréter en soi, mais en concert ça devient une vraie performance, est-ce que depuis que vous faites de la scène, vous anticipez ce passage au live au moment de concevoir les textes ?
A la base, pas du tout. Les premiers morceaux comme Kané, Sainte-Anne, Nuits Fauves etc. ont été écrits et enregistrés alors qu'on n'avait jamais fait un seul concert. Maintenant, la différence, c'est qu'on enregistre les titres après les avoir testés en live : on les écrit, on les fait beaucoup tourner en concert et après on les enregistre, donc forcément ils sont très influencés par la scène, sans être faits spécialement pour ça. Pour nous, il a toujours été évident que le projet Fauve devait passer par la scène, c'est notre priorité absolue, on veut que ça puisse vivre.
Au-delà de votre envie de faire de la scène et de l'importance de tourner, quelle place prend le live dans votre démarche ?
L'idée c'est d'aller voir les gens, les rencontrer et leur parler en face à face, pas derrière un écran d'ordinateur. Il ne s'agit pas d'aller évangéliser qui que ce soit, mais on veut aller à la rencontre des gens. Ca rejoint aussi l'idée de collectif qui est derrière Fauve, d'être ouvert à tout le monde, à toutes les contributions. Et c'est aussi pour ça qu'on est discret sur nos identités : on ne veut surtout pas être sur un piédestal, qu'il y ait une distance entre le groupe et le public. C'est pour ça que Fauve n'a de sens que par la scène. Et puis, ça fait très démago de dire ça, mais en concert on a vraiment l'impression d'être tous ensemble et c'est très important pour nous, parce que les choses sont allées très vite, on s'est retrouvé à faire des salles avec pas mal de monde dès notre quatrième ou cinquième concert, ça nous a mis une grosse pression. On avait vraiment peur que les gens nous disent : "c'est sympa sur Internet, vos titres, mais alors sur scène c'est de la merde". Et finalement, le public est très bienveillant, nous soutient beaucoup. Par exemple, début janvier, on a fait un concert à L'International : d'un point de vue technique, c'était sans doute le pire qu'on ait fait et pourtant les gens étaient vraiment sympas et compréhensifs.
C'est encore en chantier, mais vous travaillez déjà beaucoup sur la scénographie, comment vous imaginez vos futurs lives ? Quel est l'objectif, le résultat final auquel vous voulez parvenir ?
C'est encore en réflexion, on en parle beaucoup ensemble, mais on n'a pas encore eu le temps de se pencher suffisamment dessus. On voulait dès le début qu'il y ait de la vidéo sur scène ; pour nous les textes, la musique et les images forment vraiment un tout, chacun renforçant les deux autres. C'est la base de la démarche.
Vous parlez dans toutes vos interviews de "faire passer le message", mais c'est quoi exactement le message de Fauve ?
C'est un message d'espoir et un message positif. On pourrait croire que c'est un message un peu amer, un peu cynique - beaucoup de gens croient ça - mais s'il y a des constats qui sont durs, le propos est vraiment de refuser la résignation, le défaitisme, de sacraliser les belles choses, de profiter du moment... En fait, c'est juste un message humain. On a tendance à être durs les uns avec les autres, à s'embrouiller pour rien ; le message, c'est d'arriver à assumer ses erreurs, à progresser, de réussir à se relever, à résister. C'est un message d'espoir, de résistance et de combativité.
Dans la chanson Cock Music / Smart Music, vous dites : "La parole comme vaccin contre la mort, la parole comme rempart contre l'ennui ; parler, parler, parler encore, parler pour affronter la nuit", est-ce que finalement ce n'est pas ça votre motto ?
Ça, ce n'est pas le message, c'est la raison pour laquelle on a ce projet. L'idée, c'est d'utiliser Fauve comme un moyen de mettre des mots sur les choses. Quand tu as des angoisses et que tu les mets sur papier ou en musique, elles prennent une autre dimension, ça te permet de prendre du recul, de les regarder de l'extérieur et de les remettre à leur place, de te dire : "c'est juste ça". De la même manière, ça te permet de sacraliser les belles choses, les choses qui te rendent heureux. Par exemple, dans une chanson comme 4000 Iles, l'idée est de parler tous les endroits qui te font te sentir bien.
Je sais que vous ne vous attendiez pas à tout ce succès et que vous avez encore un peu de mal à l'appréhender, mais en essayant de prendre un peu de recul, comment vous l'expliqueriez ?
Le succès, c'est encore relatif, ce qui compte pour nous, c'est de susciter des réactions. Et si c'est le cas, c'est précisément parce qu'il y a un parti-pris, un message. Pour le moment, les réactions sont plutôt positives, mais si demain on devient un peu plus connus, il y en aura sûrement aussi des négatives, on va s'entendre dire : "c'est quoi ces démagos idéalistes, ces pseudo-hippies du XXIe siècle, parigots, bobos...". A partir du moment où t'as un message, c'est forcément plus engageant que si t'as des petites mélodies en anglais. Si on commence à avoir du succès, les gens qui aiment vont encore plus aimer et les gens qui n'aiment pas vont encore plus détester. On ne cherche pas à faire de la musique seulement pour se vider la tête, se relaxer ou se divertir, on veut charger le truc de sens. Sans faire de la musique d'intellos, on veut faire réfléchir un peu les gens et à partir du moment où tu mets un message, ça polarise les réactions : les gens sont d'accord ou pas d'accord. Avec Fauve, on ne fait pas forcément de la musique que t'écoutes à la radio, dans ta bagnole.
Est-ce que vous diriez que si les réactions sont jusque-là positives, c'est parce que vos textes collent parfaitement à une génération, cette fameuse "génération Y", dont on parle beaucoup depuis quelques temps ?
Ce n'est pas une histoire de génération, ça parle de nos vies : on a des galères comme tout le monde, on est des gens plutôt normaux. C'est important pour nous d'en parler, ça nous aide ; ce qui est surprenant, ce n'est pas que nos vies soient les mêmes que celles des autres, c'est plutôt que ça intéresse les gens de nous écouter le raconter. Mais si ça nous aide, ça peut aider un peu tout le monde, donc non, ce n'est pas générationnel.
On arrive aux cinq dernières questions, un peu plus légères. Vous qui parlez tout le temps de "déglinguer le blizzard", quelle est votre prévision météo pour Fauve ces prochains mois ?
Variable, orageux, beaucoup de vent, parfois grand soleil... Comme au bord de la mer, au printemps : le matin, tu peux te lever et il fait un temps de merde, et d'un coup, une heure plus tard, il fait super beau, les oiseaux chantent... Ça devrait être ça. On galère pour plein de raisons, sur plein de trucs, mais ce ne serait pas marrant sinon !
Est-ce que faire venir un journaliste du "Monde" à L'International, ce n'est pas déjà l'aboutissement d'une carrière ?
On ne l'a pas fait venir, c'est lui qui nous a contactés ! Mais ce n'est pas du tout un aboutissement, on ne mesure pas l'avancée de notre projet à une quelconque reconnaissance de la profession ou des médias. Ce n'est pas pour ça qu'on le fait.
Est-ce que devenir célèbre en racontant qu'on a une vie sentimentale de loser, ce n'est pas le meilleur plan pour choper toutes les meufs qu'on veut ? N'ayez pas honte, Kyan Khojandi a fait pareil...
Comme les gens ne savent pas qui on est, on ne chope pas grâce à ça ! On pourrait après les concerts, mais en fait non. On n'est pas du tout intimidant, ni impressionnant, il n'y a pas de séduction, personne ne se dit : "ah c'est le mec de Fauve". Donc ça ne marche pas.
Est-ce que vous avez un petit mot pour Nicolas Julliard, alias "Fauve", dont vous avez pourri le référencement Google ?
[Rires] "Salut ! Ça va ?" En vrai c'est cool, si ça n'avait tenu qu'à nous, on aurait pu faire des concerts ensemble. S'il nous propose une date ou d'aller boire une bière, on le fera avec plaisir ! Mais apparemment, lui ne nous aime pas beaucoup. Après, son référencement Google... il y a d'autres gens qui s'appellent Fauve : quand tu cherches "Fauve" dans Facebook, tu trouves la lingerie Fauve, la meuf qui fait de la danse, d'autres groupes de musique en Argentine, en Pologne, en Espagne...
Dernière question rituelle : pour mon référencement Google, est-ce que vous avez une fausse rumeur à balancer sur vous ?
On en a déjà balancé plein depuis tout à l'heure ! [Rires] Ce qui serait marrant, c'est d'annoncer qu'on fait un concert gratuit demain soir. Avec distribution gratuite d'argent !
On y sera ! Merci Fauve, et bonne route !
Merci à toi.
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Nuits Fauves :
Sainte-Anne :
Kané :
4000 Iles :
Cock Music / Smart Music en acoustique sur Le Mouv' :
Interview réalisée le 24 mars 2013 par Fredc
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