Accueil Chronique de concert Entretien avec Laurence David
Lundi 23 décembre 2024 : 6830 concerts, 27255 chroniques de concert, 5420 critiques d'album.

Entretien avec Laurence David

Entretien avec Laurence David en concert

Londres Août 2014

Interview réalisée le 27 août 2014 par unair2fete@gmail.com

Je relie mes notes dans le bus 27 qui m'amène dans le quartier d'Olympia, au sud-ouest de Hyde Park. Londres sous le soleil étale ses parcs verdoyants. Les maisons toutes blanches rehaussées par quelques éclats de lilas poudré s'alignent les unes à la suite des autres. Les rues animées en cette fin d'après-midi incitent à la promenade. Dans quelques minutes, je rencontre Laurence, compositrice, chanteuse, poète dont le chemin de vie exceptionnel n'a pas fini de me surprendre. Elle m'accueille avec ce sourire particulier, profond, généreux, et je découvre sa maison dans laquelle baigne une atmosphère douce, enveloppante et chaleureuse. C'est autour d'un thé réglisse que se nouent nos premiers mots.

Ton parcours de vie est particulier, peux-tu nous en dire plus ?

Très tôt, il a fallu que je me découvre toute seule. A l'âge de 16 ans, mon père m'a mise dehors. Je me suis retrouvée face à moi même. Personne n'est venu me chercher. Je me suis retrouvée face à mes peurs, mes angoisses et mes doutes. Je ne suis jamais revenue chez moi. A l'âge de 18 ans 19 ans j'ai fondé ma propre compagnie. La première agence de mannequin pour les filles de petite taille qui s'appelait "Les Petites". C'est à cette période là que j'ai commencé le travail d'écriture. Vers l'âge de 25 ans, prise dans une histoire particulière, j'ai du quitter la France. Je suis arrivée en Angleterre sans parler un mot d'anglais. Je vivais dans un petit village. Et ce fut pour moi un nouveau départ, j'entrais dans un cycle de guérison. J'écoutais beaucoup de musique et j'avais besoin d'exprimer mes émotions.



Quels sont tes souvenirs à cette période là ?

Je me souviens que je me promenais dans la campagne anglaise, je marchais longtemps dans le silence. Les églises m'attiraient, ce qui peut paraître étrange quand on sait qu'auparavant, je trouvais ces endroits là plutôt flippants. A ce moment là, j'ai ressenti immédiatement la sérénité que je recherchais. Les marches en campagne m'ont apporté beaucoup. J'étais en totale harmonie avec la nature. Je me disais "Ici, on ne me ment pas, il n'existe pas de faute de goût, pas d'erreur, je ne me trompe pas. Je ne peux faire que ce que j'aime, la nature me soutient et m'accompagne".

Comment as-tu trouvé ta voie ?

Tout a commencé grâce à un ami, Volodia Boukortt, ingénieur son sur Paris que j'ai contacté. Il m'a proposé de rencontrer une de ses amies, chanteuse sur Londres. Elle habitait en haut de Portobello, et elle était auteur compositeur. A cette époque je n'avais aucune intention de chanter. Elle trouvait ma voix intéressante et me questionnait sur la possibilité d'en faire un métier. Un soir dans un bar, sur un pari (sourire), je me lève de l'endroit où je buvais du Champagne avec des amis, je traverse la salle, j'arrive au milieu de la scène où se produisait un groupe, et là, devant le regard amusé de mes amis, je chante a capella "Ne me quitte pas". C'était fou ! Quand je finis le morceau, tout le monde se tait. Puis ce sont des vagues d'applaudissement. Parmi le public un homme se dirige vers moi et m'annonce qu'il produit des chanteurs. Il me laisse sa carte...

C'est une histoire incroyable ! Comment s'est passée la suite ? Tu l'as appelé ?

Non, je me suis méfiée. La semaine est passée et le week-end suivant je suis retournée dans cet endroit. Le propriétaire vient immédiatement me voir et me demande : "Vous allez chanter "Ne me quitte pas" ce soir ?". Alors, je rechante à nouveau ! Et là encore, je retrouve ce producteur qui insiste et me demande de prendre contact au plus vite avec un ami à lui qui produit de jeunes talents. J'appelle mon ami Volo et lui demande conseil. Il m'invite à le rejoindre immédiatement pour enregistrer une maquette de quelques morceaux avant de contacter ce producteur. Une fois l'enregistrement en main, je débarque avec ma cassette contenant les morceaux, pas de maquillage, un chignon strict, et j'entre dans le bureau du producteur, avec mon anglais hésitant d'une française qui apprend. Il écoute silencieux et concentré. Et puis il parle. Je me rappellerai toujours de ce moment ! Je me demande si j'ai bien compris ce qu'il vient de me dire ! "Votre voix est géniale, je vais prendre immédiatement contact avec des compositeurs. Est-ce que vous écrivez aussi ?".
Dans la vie, on a un chemin, si on décide de le suivre, spontanément, naturellement, il est si "évident" qu'on ne réalise même pas qu'on se dirige vers lui. Parfois on tente de s'en dévier, on a des idées, on essaye, mais on n'arrive pas au but qu'on s'est fixé. Cette fois-ci, c'était mon chemin, ma mission, quelque chose de tout à fait original. Alors tout s'est fait naturellement.
J'ai trouvé sur mon chemin un pianiste, puis un endroit où chanter des reprises de Piaf, Brel, Ferré. Et ce producteur est venu avec deux compositeurs. Je poursuivais ma route, j'entrais dans un studio avec l'ancien guitariste de Clapton. Les jours suivants j'écrivais ma première chanson. Face au guitariste, qui commençait à jouer de la guitare, mon bloc-notes et un crayon à la main, les mots venaient s'ajouter les uns aux autres pour ce premier morceau. Tout jaillissait spontanément, et le morceau "Elle et moi", est né. Je suis passée en studio immédiatement après, ils m'ont fait écrire deux trois chansons en plus.
Phil faisait la musique, je composais et chantais. J'ai signé mon premier contrat avec HIT & RUN MUSIC (Phil Collins, Genesis, Keziah Jones). Puis, nous avons rencontré Sony music en France et ils nous ont dit "Laurence a une voix trop grave et elle écrit des chansons à texte : ce n'est pas commercial". Personne ne m'a signée en France.
Le côté célébrité ne m'a jamais intéressée. Ce qui m'anime c'est de travailler avec des gens que j'aime, d'être dans une équipe et de faire de la scène ici avec les gens que je connais.

Et te voilà entrée à plein temps dans le monde de la musique

Oui. J'ai été la première artiste française à signer en publishing en UK ! Ça m'a ouvert des portes énormes. Notamment avec Nigel Corsbie qui travaillait avec Massive Attack. On a fait un album trip hop ensemble. On travaillait avec l'ancien guitariste de T-Rex et cet album est fondé sur les rêves érotiques : Love 69. C'est un album magnifique.
Quand je suis allée le présenter à la Warner à Paris, toute l'équipe était motivée : "on va travailler ensemble, c'est fantastique, c'est rare, la musique est fabuleuse, les paroles sont en anglais et français, c'est original, sensuel, pas vulgaire". Ils étaient enthousiastes et pourtant, ils ne nous ont jamais recontactés !
Après "Love 69", je me suis remise à faire des chansons à texte. J'aime raconter des histoires et les personnes qui ont croisé ma route ont tant à exprimer. Elles ne sont pas avides de célébrité. J'ai découvert un guitariste espagnol gipsy qui jouait dans la rue, une violoniste italienne française et de famille tsigane, une anglaise qui jouait de la contrebasse, un accordéoniste polonais, un israélien qui jouait de la guitare, une seconde violoniste. On formait un sacré groupe. Les scènes londoniennes qui nous accueillaient étaient superbes, feutrées, pourpres. C'était sublime.

Comment composes-tu ?

Je pratique le bouddhisme. Tous les matins après mon heure de pratique, j'écris. Les mots sortent spontanément, naturellement. J'écris des chansons très personnelles fondées sur ma vie. "Fait d'hiver" est un morceau pour les sans abri. Parce que j'ai vécu dehors, et j'ai voulu écrire ce morceau avec des mots très réalistes et en même temps très imagés. Quand tu écoute la chanson tu sais qu'elle parle des SDF.
Je suis aussi très attirée par l'époque victorienne : robes, bijoux, architecture, livre, poème. Et puis celles des vieux maîtres qui jouent intensément avec le thème de l'ombre et de la lumière.
Je pense que l'être humain est son propre ennemi. Nous nous battons sans cesse contre notre obscurité. Il faut trouver cet équilibre. Mon premier album c'était "Rien que des maux", puis j'ai composé "l'Eveil", ensuite "Love 69" et mon dernier album c'est "A travers vous", car je pense que la lumière c'est le contact avec les gens, l'énergie.

"Nous sommes les liens que nous tissons avec les autres" (Albert Jacquard)

Oui. Chaque rencontre est une leçon. Tu peux rencontrer sur ton chemin de vie des personnes qui t'apprennent à ne pas être comme eux, des personnes dont tu t'inspires. Je n'ai jamais ressenti d'admiration dans le sens de la vénération mais beaucoup de mes rencontres m'ont inspirée. Et l'inspiration c'est la créativité.

Tu as aussi travaillé avec Kad Achouri

On a fait un album ensemble. C'est génial de composer à deux. Kad est algérien et vit à Londres. On s'est rencontré quand j'étais en maison d'édition. Il écrit et son répertoire est aux confluences du jazz. Il a composé et joué, j'ai écrit.

Dans quelle atmosphère composes-tu ?

J'ai besoin du contact avec le papier, les feuilles, elles s'amoncellent de partout dans ma pièce de travail. Elles s'étalent sur le sol. J'aime écrire chez moi, dans ma bulle, me concentrer dans une atmosphère qui m'enveloppe et m'inspire. J'écoute ce que veut me dire le compositeur au sujet de sa musique.



Tu es une amoureuse des mots ?

Totalement ! J'adore le vieux français, les livres, l'écriture à l'ancienne, c'est mon inspiration. L'écriture, tu vas la puiser au fond de toi, au fond de ton cœur. L'écriture, quand tu as passé des moments douloureux et difficiles c'est une façon de guérir, de te nettoyer, il n'y a pas de bataille avec ta feuille.
"Quand on compose de la musique on est à l'intérieur de soi" (Charlélie Couture).
Quant tu composes, il n'y a que ta page, que de l'émotion. Lorsque tu chantes, les gens te voient et t'écoutent. Tu chantes ta vie, tu chantes tes mots. L'Art n'a pas de frontière parce que la souffrance tout le monde l'a vécue : on y est tous passé, et c'est ce qui nous construit qu'on habite en ville, à la campagne, en France ou ailleurs. Et la musique c'est éternel. La musique c'est comme un vieux tableau. "Qu'est-ce que le peintre a voulu dire ? Comment était sa vie, à cette époque ?" Ces maîtres travaillaient pendant des heures pour trouver la lumière. Ils représentaient des fragments de vie. Pour nous musiciens, nos morceaux sont aussi des fragments de vie et ça correspond à un fragment de la vie de ceux qui nous écoutent. Ceux qui écoutent nos morceaux se relient en s'identifiant : "Voilà ce qui me relie. Ca me touche parce que je l'ai vécu aussi".
La musique, il ne faut pas l'oublier non plus, c'est un côté joyeux. Quand on écoute ces chansons où on s'amuse ensemble, on danse on chante : la musique réunit les hommes autour d'éclats de rire et de moments insouciants.
Dans la musique c'est ça qui est intéressant tu as un côté "solitude" et un côté "solitaire". Quant tu es solitaire tu n'as pas besoin des autres, tu choisis d'être avec eux parce que tu le souhaites, mais tu peux te ressourcer et puiser ta propre richesse intérieure. Tu es toujours solitaire quand tu écris. Face à tes idées, face à ta feuille, face à ton âme.
Mais paradoxalement, un auteur-compositeur aura besoin de l'écoute de l'autre pour être accepté. C'est son côté "solitude" dans le sens où il est seul face aux autres, mais recherche à être reconnu de ceux qui l'écouteront.

Sur ton site web, tu remercies tes parents, c'est un acte fort compte tenu de ton histoire personnelle

J'éprouve beaucoup de gratitude envers toutes les personnes que j'ai pu croiser sur mon chemin notamment mes parents car j'ai choisi mes parents dans cette vie. J'ai écrit une chanson sur mes parents. Cette chanson s'appelle "Complainte", elle est à la fois douloureuse et pleine d'espoir. Elle raconte les mensonges qu'un homme affirme lorsqu'il va se marier avec une femme. Quand on écoute bien les paroles de "Complainte" on s'aperçoit que ce sont des histoires qui se répètent depuis des dizaines et des dizaines d'années. Elle a été créée d'un coup et c'est devenu une chanson tsigane magnifique.

Quels sont tes projets ?

Je refais de la musique depuis six mois. Je me suis mise à écrire à nouveau. Parallèlement, je travaille sur une interprétation musicale originale organisée dans le cadre du programme d'été de la Serpentine Gallery. Nous sommes quinze femmes à chanter sur la mise en scène de l'Artiste Lina Lapelyte. Cette artiste a adapté des arias chantées habituellement par des hommes en voix castra.
C'est le 29 août à la Sepentine Gallery à Londres.


En savoir plus :

-29 août, Serpentine Gallery
-Site web de Laurence David : https://www.laurencedavid.com/
-Run to u : https://soundcloud.com/laurence-david-2/run-to-u
-Ne me quitte pas : Soundcloud

FUNAN"BULLE"

Sa vie ressemble à un fil
Tout est droit, linéaire... Rien à dire à écrire à refaire, si ce n'est...
On le voit qui avance
D'un pas sur et certain... Car lui seul en connait le chemin, si ce n'est...
Qu'on glisse tous les matins
Sur les lignes de nos mains
Comme lui, sur les lignes de sa vie... C'est ainsi
Qu'il vole dans l'univers
Au-dessus de la sphère... Il avance et recule en arrière, si ce n'est...
Ce petit centimètre
Sa vie sur un diamètre ... Sans tomber sans jamais s'accrocher Si ce n'est...
Qu'il glisse sans fléchir
Sur le pont des soupirs

Funan bulle
Décroches-moi le ciel
Et la Lune qui sommeille
Funambulle
Je suis couchée pareille
A ma vie qui s'éveille

Sur son bout de ficelle
Il défie les dangers...Tout en haut, il ne pense qu'à elle si ce n'est....
Le reflet de la lune
Le reflet du bitume, sont pour lui sans danger, je le sais...Si ce n'est
Que je glisse a frémir
Que je glisse à souffrir

Funan bulle
Décroche-moi le ciel
Et la Lune qui sommeille
Funambulle
Je suis couchée pareille
À ma vie, qui s'éveille

©Musique :Mo Hafsi . Paroles&Musique : Laurence David-Valadier

FAIT D'HIVER

J'ai le luxe infernal
De n'avoir ni salon, ni plafond
Un quartier très lugubre, un peu sale
J'ai la rue pour maison.
Je me noie chaque jour, je me noie chaque soir
Dans le bleu merveilleux
Qui me plonge dans le noir...
De ma vie...dérisoire...

Fait d'hiver
Ma vie est un enfer
Déguisée en blessure
Sous le poids de la terre
Fait d'hiver
Ta vie contre ma chair
Contre vos déchirures
Et contre vos prières

Dormir...Encore dehors
Dans les draps déchirés et craquants
De la buée hivernale, des passants
J'ai la rue pour prison
Je me perds chaque jour, Je me perds chaque soir
Dans le froid des regards
Qui m'obligent à comprendre mon histoire, par hasard

Fait d'hiver
Ma vie est un enfer
Déguisée en blessure
Sous le poids de la terre
Fait d'hiver
Ta vie contre ma chair
Contre vos déchirures
Et contre vos prières

Mes pauvres pas me portent
Sur la brume des boulevards et des bars
Je n'entends plus la voix, mais l'écho
Qui murmure tout haut
Tu retrouves chaque jour tu retrouves chaque soir
Les pavés de l'errance
Et l'exil ton chemin de souffrance, pas de chance
©Musique : Mo Hafsi. Paroles&Musique : Laurence David-Valadier