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Watcha Clan (interview)

La Plaine - Marseille 10 fevrier 2005

Interview réalisée le 10 février 2005 par Pirlouiiiit

Quelques jours après m'être dit que cela faisait quelques temps que j'étais sans nouvelles des Watcha Clan, il se trouve que je tombe justement nez à nez avec Karine et Julien (aka Sista Ka et Soupa Ju) sur la Plaine ... je leur demande ce qu'ils deviennent et j'apprends ainsi qu'il s'apprêtent a sortir leur deuxième vrai album a la fin du mois ... Du coup on prend rendez vous pour une petite interview, histoire de faire un peu le point sur une des formations les plus "metissantes" de Marseille. Entretien avec Sista Ka (K), Soupa Ju (J) et Suprême Clem (C). Mais avant vous pouvez vous rafraichir la memoire en allant jeter un œil aux nombreuses chroniques de concert (dont la plus vieille remonte quand meme a 1998 !)



Cela fait un petit moment qu'on ne vous a plus vu du côté de Marseille ... qu'avez vous fait pendant tout ce temps ?

(C) On a fait pas mal de concerts dans toute la France et surtout nous avons enregistré et produit notre dernier album "Le Bastion ", dans notre propre studio à Marseille et dans différents endroits. La production de cet album nous a demandé beaucoup de temps et d'énergie, c'est un travail qui s'est étalé sur presque deux ans, de la création à l'enregistrement des morceaux, puis le mix, le mastering, le travail sur la pochette...
(K) en quelques sorte plus que de l'autoprod c'est un travail artisanal... et d'autre part on a envie de pouvoir proposer quelques chose de nouveau à Marseille et pas se reposer sur un set bien rodé...

Un petit point sur la formation ... combien êtes vous? (il me semble que vous êtes toujours nombreux) N'est ce pas un peu dur pour trouver des dates ?

(C) Aujourd'hui, Watcha Clan se compose de 5 musiciens : Sista Ka, Soupa Ju, Suprême Clem, Jah Rob et Matt la basse. Notre effectif s'est un peu réduit et c'est vrai qu'il devient très difficile de tourner pour de grosses formations. Comme nous tendons vers un mélange de musiques traditionnelles et électroniques, tout le monde devient un peu multi-instrumentiste et les samplers prennent un peu plus de place dans le son.

Quel est votre statut (intermittents, travail à côté) ?

(K) Pas de travail à côté car pas le temps de s'investir dans des activités plus lucratives toujours parce que nous sommes en autoprod. Mais c'est un choix. La moitié du groupe est intermittent, on s'arrange pour que tout le monde puisse bouffer; Rob, le batteur et Mat le contrebassiste donnent des cours de musique a côté, quand a Clément (clavier, sample) il est bénévole et étudiant ; il fait pourtant partie du trio de base avec Soupa et Sista Ka qui font du Watcha Clan matin midi et soir... Et puis il y a aussi l'équipe technique (light et son) qui travaille bien sûr a côté, même si Watcha Clan reste une priorité. Nous espérons donc cette année devenir tous intermittents même si ce statut n'a rien de rassurant...musical.

Quels sont vos projets immédiats ? et plus lointains ...

(C) Pour le moment, on se concentre sur la sortie de notre nouvel album le 28 février et sur les concerts qui vont avec. C'est important pour un groupe autoproduit comme nous de faire beaucoup de concerts, d'être présent dans le plus de salles possibles. On aimerait aussi jouer à l'étranger, nous sommes déjà allés en Algérie et en Allemagne et c'est un rêve pour nous de voyager grâce et pour la musique.



Comment naît un morceau dans le groupe ?

(C) les morceaux se créent et se développent lentement, ils mûrissent et c'est un des grands avantages de monter son propre studio, cela permet de travailler intensément mais sans pression. Soupa Ju est à l'origine des textes, les thèmes des morceaux sont débattus avec Sista Ka qui avec Suprême Clem se charge de la musique, des mélodies et des arrangements, Mike notre bassiste québécois que nous avons accueilli en résidence pendant 2 ans nous a apporté sur le plan de la production et de l'usage de l'ordi...
(K) un morceau peut naître à partir d'un coup de gueule, d'une mélodie, d'un sample, d'un rythme....ce n'est jamais pareil, il n'y a pas de recette.

Le Studio ?

(K) C'est différent de la scène, le truc c'est de pouvoir faire passer l'émotion alors que le son va se retrouver figer sur une galette! C'est aussi un travail technique de précision qui fait énormément progresser. Enregistrer en studio, cela demande un gros don de soi.
C'était un gros kif d'enregistrer dans un gros studio comme cactus (où nous avons enregistré 2 titres) avec les super micros que tu rêves d'avoir mais aussi et surtout de le faire à la maison car pour chaque chanson tu as le temps de te mettre dans le bain et de recréer une atmosphère.

Quel bilan tirez vous de Nomades a.k.a. ?

(K) Il y avait dans "Nomades AKA" déjà toutes les semences de la musique que nous faisons aujourd'hui, mais avant même que Nomades aka sorte nous étions sur ce nouvel album. Nomades aka était notre premier véritable album et contient donc des maladresses. C'est un peu un rapport affectueux ... les personnes qui nous aiment avaient détecté un potentiel et c'était encourageant. Un album ce n'est pas un aboutissement mais des portes artistiques qui s'ouvrent, car à chaque fois ce sont des expériences humaines et artistiques qui t'enrichissent énormément...

L'écoute de votre sampler avec 8 extraits de l'album qui va sortir dans quelques semaines montre une certaine évolution

(C) Oui, on commence à vraiment trouver notre son, même si on part toujours dans tous les sens. On assume de plus en plus notre volonté de mélanger l'acoustique et l'electro, confronter des langues, des univers qui ne doivent pas rester clos. Ensuite, comme c'est notre deuxième galette autoproduite, on commence à mieux maîtriser les outils de production et notre home studio commence à se garnir. On fait presque tout le travail à la maison et on affirme de plus en plus notre personnalité musicale grâce à ça.



Vous chantez en français mais aussi en espagnol, pourquoi ? Et quel est le langage sur Limu ?

(C) Plusieurs morceaux de l'album sont en hébreux (dont Limu), d'autres sont effectivement en français, en anglais, en espagnol. C'est une volonté d'éclectisme qui nous pousse à explorer, tant par la langue que par des samples et des instruments, les différentes sonorités du monde. C'est une manière de s'ouvrir au monde et de confronter des musiques, des ambiances. Le mélange est notre principal moteur créatif, il n'y a plus de limite.
(K) Le texte en espagnol (Patera) a été écrit par un ami qui vit aux
Canaries. Le phénomène de l'émigration clandestine coûte que coûte pour fuir la misère en rêvant d'un monde meilleur, c'est ce qui l'a touché depuis qu'il vit là-bas. Des marocains qui arrivent dans des embarcations de misère qui s'échoue sur les plages. Toi, tu arrives sur la plage et tu te rends compte du truc en trouvant les carcasses des pateras ... Il fallait en parler et puis tous les potos d'Amérique du sud ça leur parlent : de cuba au chili... et de partout dans le monde.

Plus trop de "jungle" ?

(C) Si si, mais tu n'as pas encore écouté l'album en entier ! Maintenant, la jungle partage la scène avec le dub, le drum n' bass, le broken beat, le hip hop. On ne veut pas non plus se limiter à un style d'"électro", pour nous, la base de l'électro est de toute façon le dub, qui plus qu'un style, est une manière d'aborder la musique et la production. Le bidouillage de sonorités, les versions, les remix, tout découle des expérimentations de Lee Perry et King Tubby.

"On n'est pas prêt a partager" avec son mélange Est (avec ses cuivres qui semblent tout droit sortis d'un film de Kusturica) et Orient (pour les rythmes) fait presque chanson avec ses textes revendicatifs en français ...

(C) On a toujours eu cette influence tsigane, on aime cette énergie ces sonorités, quant aux textes de "pas là pour rigoler", c'est un peu un coup de gueule, un coup de fouet pour se réveiller, regarder la réalité autour de soi, l'individualisme envahissant. Tout est loin d'être cool dans notre société, les inégalités, les injustices, l'égoïsme des gens sont une réalité, alors il faut faire bouger les choses, on est "pas là pour rigoler" mais pour agir. D'autant plus qu'avec le climat actuel que met en place la droite: la police, la libéralisation, l'affaiblissement des services publics, on a vraiment pas de quoi rigoler.
(K) La musique trad parle du quotidien justement ; on en parle à notre manière. C'est un texte qui a été écrit sans prise de tête, d'une traite, c'est fresh! ...

Un petit mot sur votre collaboration avec Jamalski ?

(J) Ca s'est fait assez naturellement, on s'est croisé plusieurs fois sur le route (à Lyon, en Bretagne,...) et Jamal a été sincèrement touché par notre côté organique et l'impact de notre show. Il nous a proposé une collaboration et c'est dans une loge de concert qu'on a fait sa prise de voix sur un petit portable, les nomades en action... C est gratifiant pour nous d'avoir le soutien d'1 pilier de la scène jungle/drum and bass internationale.



Vous revendiquez à deux reprises votre identité marseillaise, chose que vous ne faisiez pas par le passé ? Est-ce le fait d'avoir tant bougé qui vous a fait réaliser cela ?

(K) Ouais ... pas vraiment ... Ce sentiment, plus que Marseille, des fois j'ai l'impression qu'on imagine la ville dans laquelle on a envie de vivre. On y est bien mais on sent qu'il faut être vigilant...c'est l'envie aussi de conter le quotidien

Pensez vous comme Massilia Sound System que "l'identité n'est pas écrite sur les papiers" et que "marseillais c'est vouloir être marseillais" ?

(C) Quand on parle de Marseille, on parle bien sûr de notre ville (natale ou d'adoption pour la majorité des membres du groupe) mais on veut surtout montrer Marseille comme un symbole efficace de résistance tout en gardant les yeux ouverts sur la réalité de cette ville et de son évolution. Marseille est un bel exemple de métissage et de tolérance, il faut qu'elle le reste!

En plein retour du rock vous chantez "le rock est mort (on l'achève à coup de sampler)", est-ce de la provoc' ?

(C) Oui et non, le rock est mort il y a 40 ans, ce n'est pas une nouveauté et en même temps, plus que le rock en tant que musique, c'est le rock en tant que phénomène culturel et social dont nous parlons dans la chanson. Le déclic a été la mort de Joe Strummer (le chanteur guitariste des Clash) qui a eu un parcours artistique sans concession et qui est un modèle pour nous. C'est cet aspect militant, intransigeant et underground qui se porte mal et qu'on espère voir ressurgir. "Le rock est mort", c'est une métaphore pour dire que les temps changent, qu'il faut trouver de nouveaux horizons, de nouveaux moyens de lutter, sinon on fonce droit dans le mur.
(K) Aujourd'hui rebelle c'est un look, une mode, y en a qui doivent nous regarder du ciel et qui doivent mourir de rire! (Joplin, Hendrix, Strummer ...)



La scène ?

(C) On a arrêté de tourner quelques mois pour produire notre album alors maintenant on a faim! On a un nouveau set qu'on travaille actuellement et la tournée redémarre en mars. La scène est vraiment importante pour nous, c'est là qu'on rencontre le public, c'est là qu'on se sent le plus efficace et le plus utile. C'est sur scène que l'on fait le plus de bien aux gens, par l'énergie, les textes, par l'interaction avec le public. Un concert c'est de l'échange, de la communication et il faut continuer à soutenir les groupes, les salles, les festivals dans toute la France car c'est de plus en plus dur pour tout le monde. Il faut tout faire pour que la musique reste vivante.

Vous tournez beaucoup dans le grand sud ... qu'en est il du nord ?

(K) Dans le nord notre musique est très bien accueillie, perso la route, le froid, c'est pas toujours le top mais les concerts sont bouillants. C'est comme si on était exotique. C'était vraiment ça à Rouen, en Alsace ou encore plus à Cologne.

Jusqu'ou êtes vous allés jouer ?

(C) Nous sommes allés à la Réunion, en Algérie, en Allemagne et nous partons cet été à Budapest (Ziget) en Hongrie. C'est vraiment un rêve de jouer à l'étranger, c'est très enrichissant humainement et musicalement parlant. Se confronter aux autres (proches comme lointains) c'est mettre en pratique ce que dit notre musique, le mélange, la tolérance.

Dans les groupes que vous avez croisé sur la route, qui vous a le plus marqué ?

(C) C'est avec High Tone qu'on se régale le plus. Ce groupe de dub de Lyon a réellement crée une nouvelle dynamique pour le dub et l'électro français notamment avec leur label Jarring Effects. Nous aimons beaucoup Mei Tei Sho ou encore Lojo Triban, qui sont des groupes qui se battent et prennent énormément de risques artistiques. On a aussi joué avec Toots and the Maytals, le monument du funky reggae soul, qui nous a impressionné avec ses 60 ans et son énergie.



Avec qui aimeriez vous jouer ?

(K) Fela, Bob Marley non je déconne ... on a écouté un dj montréalais vraiment bon a Marsatac: Kid Koala... mais d'une manière générale on a joué avec pleins de bon groupes ; Cette année la scène underground est très riche.

Dans les disques que vous avez récemment acheté lequel vous a le plus plu et lequel vous a le plus déçu ?

(K) Pendant les dernières promo d'été, je me suis achetée le premier et l'avant-dernier de Ben Harper, ce gars-là c'est toujours bon ; il a un parcours hallucinant, même si le premier est mon préféré (normal c'est l'effet de surprise) ! Sinon le dernier Herbalizer et le Red Hot Riot (hommage à Fela) pour tous ceux qui aiment danser sur l'afro beat.

Même question pour le ciné ...

(K) Ca doit faire un an que je n'ai pas mis les pieds dans une salle de ciné. Le dernier film était Coffee and Cigarets (de Jim Jarmush) et ça valait vraiment le coup!

Retrouvez toute l'actualite de Watcha Clan sur leur site internet : https://www.watchaclan.com/.
Leur nouvel album "Le Bastion" sort le 28 février 2005, les photos sont de Esteban.

Merci a Dazuntski pour la finition de l'interview.


Cette interview a aussi été publiée dans Nouvelle Vague (mois de mars) :


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