Newletter Live In Marseille 23 Octobre 2017
Sapristi
C'est le nouveau bashing à la mode dans les médias : se moquer des gens qui emploient un langage un peu soutenu. Que Macron emploie un mot un peu littéraire comme "croquignolesque" en une heure de speech, et voilà ce que tout le monde va commenter en priorité ! On lui avait déjà fait le coup par le passé ("poudre de perlimpinpin") et il est vrai que parfois (non, souvent !) il emploie des expressions franchement vieillotes ("je vous en fiche mon billet", fallait oser) dans la bouche d'un même pas quadragénaire. Se foutre / se gausser des hommes politiques, est évidemment notre droit le plus sacré et une de nos plus grandes joies ! D'ailleurs l'enjeu de mon propos n'est certainement pas de soutenir ce monsieur et encore moins sa politique : je voudrais juste parler cinq minutes de littérature ... parlée ! Et de la façon dont les mots, déversés dans nos oreilles toute la journée, sont pensés et surtout formulés par celles et ceux à qui on tend un micro à tout bout de champ.
Car quand on y pense, quels sont les discours politiques qui ont marqué notre paysage (et donc les femmes ou les hommes qui les ont tenus), et qui ont du coup imprimé le rythme de la pensée collective ces dernières années, déclenchant les débats, influençant les opinions et donc, façonnant notre société ? Généralement ceux des personnes qui font l'effort de parler lettré, de tirer les gens vers le haut plutôt que vers le bas, quitte à les forcer à allumer leur cerveau. Il y a deux personnes à l'opposé du spectre politique à qui je pense spontanément : Jean-Luc Mélenchon... et Jean-Marie Le Pen. Pour faire dans la presque parité, j'ajouterai Christiane Taubira. Considérés tous les trois comme de grands tribuns (désolé, le mot n'a pas de féminin), comme par hasard - mais en fait non, c'est précisément parce que ces trois personnes parlent bien, et avec un vocabulaire soutenu, qu'elles impriment ! Dans les trois cas, j'ai déjà du avoir recours au dictionnaire, pour comprendre un mot employé à leur tribune et franchement, ça ne me dérange pas du tout ! Bien au contraire, si j'ai au moins appris un mot à l'issue d'un discours, je considère (mais ce n'est que mon avis d'amoureux des mots bien sûr) que je n'ai pas perdu mon temps, qu'il m'a au moins servi à ça, à m'armer d'un mot nouveau ! Car oui, les mots sont des armes, bien sûr, Pierre Bourdieu l'expliquait très bien dans le film "La sociologie est un sport de combat"... Pour cette même raison, l'"abracadabrantesque" de Chirac m'avait mis en joie, et je lui sais gré / je le kiffe d'avoir appris à cette occasion qu'il l'avait emprunté à Arthur Rimbaud !
On pourrait me répondre que ce qui reste aussi d'un discours ou d'une personnalité politique, ce sont tout aussi bien ses formulations grossières et ses néologismes osés ("si y'en a qu'ça dérange" et autre "casse toi pauv'con" de Sarkozy, ou la célèbre "bravitude" de Royal). Oui, mais ! Ces grossièretés et autres approximations langagières ne traduisent généralement qu'un discours creux (dans le meilleur des cas), ou populiste et démago (dans le cas le plus général). Donc, s'ils marquent parfois les mémoires en tant que "fails" notoires - comme on dit sur Youtube, ils ne portent finalement aucune vision, ne construisent ou ne déconstruisent rien. Bref, dans la bouche d'un.e élu.e de la République, ils ne servent à rien ! Et d'ailleurs, si l'opinion se moque volontiers des mots compliqués, on voit bien qu'elle réagit assez mal aussi quand un homme politique en emploie un vulgaire comme tout récemment, "bordel" (là encore, je ne juge surtout pas du contexte, de la légitimité du propos, j'insiste... et d'ailleurs c'était dit dans un apparté, pas au micro).
Entre nous, moi qu'un type de 39 ans dise "bordel", comme je le fais 10 fois par jour (et alors qu'on est de la même génération), ça me rassure plutôt sur le fait qu'il n'est pas extraterrestre, qu'il est quand même encore un peu connecté au monde qui l'entoure. Pour ma part j'ai toujours trouvé normal et même parfois assez élégant, d'employer dans un paragraphe de chronique de concert, le mot "saperlipopette" et dans le suivant, "bordel de merde". Ca fait partie des choses qui donnent du rythme à un propos ! Et si le mot compliqué ou le mot grossier est le meilleur pour définir un sentiment, qualifier quelque chose, c'est bien celui qu'il faut choisir ! "Mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur de ce monde", disait Albert Camus, et c'est une de mes citations préférées. Si tu penses au fleuri "bordel" à propos de quelque chose de mal rangé, appelle-le donc "bordel", et si tu penses au plus soutenu "bataclan", appelle-le donc "bataclan", qu'est-ce que ça peut faire / foutre : ce sont des synonymes ! "Saperlipopette" ou "bordel de Zeus", "nom d'un chien" ou "peau de bite", rien ne me choque, si c'est comme ça que tu exprimes au plus juste ton ressenti !
Mais bon, dont acte : en 2017, un politique quel qu'il soit, ne doit donc plus parler ni trop bien, ni trop mal, puisqu'on lui reprochera finalement les deux ! Et donc par définition, il est condamné rester dans un entre-deux. Condamné à ne pas percuter les esprits, ni vers le haut, ni vers le bas. Condamné à nous raser / à nous faire chier, avec des propos tièdes et théoriques. Et comme ça, on aura plus qu'à lui reprocher enfin d'avoir un langage "technocratique", de "pratiquer la langue de bois" etc. Injonction contradictoire donc : désolé mais faudrait juste savoir ce qu'on veut, à la fin, sapristi / putain ! Et ne jamais oublier qu'une idée, une vision, une pensée un tout petit peu construite, qu'elle soit de droite, de gauche ou du centre, ne pourra jamais s'exprimer en 140 signes, que ça nous plaise ou non ! Ce qui n'est pas non plus une excuse pour blablater des heures sans rien dire (qui a dit : "Comme tu viens de le faire ?"), car comme l'écrivit Nicolas Boileau en deux alexandrins d'une classe foudroyante (une autre de mes citations préférées) : "Ce qui se conçoit bien, s'énonce clairement. Et les mots pour le dire, arrivent aisément !"
Philippe
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Cadeaux
* la chronique de
extrait : " Arrivé en goguette après 21 h 30 en se croyant très malin, votre serviteur rate royalement une bonne moitié du show de La Flingue, appelée en renfort pour ouvrir ce soir. Ca tombe bien, le chanteur le déteste, lui et ses chroniques à la c... Quoi qu'il en soit, celui-ci devient manifestement un peu gâteux puisqu'il a mis un t-shirt d'un de ses nombreux groupes précédents (le blanc avec le cercle noir au milieu - non, nous non plus, on ne sait plus comment s'appelait cette formation déjà ancienne...). Ca n'empêche pas le groupe de jouer sec et carré, avec un son impressionnant de précision, en passant par des titres assez plaisants, presque tranquilles (on écrira quand même pas "poperoque"), et finissant son set par ses tubes hargneux et déjà intemporels (Homo Pogo, Bunker Kids...). Olivier Gasoil, car on parle bien de lui, n'a pas manqué de se "gaffer" la figure (gimmick obligé et toujours rigolo), et au final le groupe nous torche un joli petit set devant une bonne partie de ses fans, le chanteur vociférant comme il peut à travers une bouche tordue entre deux bandes noires très collantes, avant de sortir en titubant. Joli travail, comme toujours, messieurs ! [...] "
* la chronique de
extrait : " 4ème soirée pour l'asso Provock, qui soutient la scène Rock Locale. Et tant pis si une des têtes d'affiche de cette soirée n'est pas vraiment provençal, car les Psychotic Monks ont mis le feu, copieux ! C'est une petite salle, dans ce qui semble être une ancienne auberge, proche du centre d'Aix. Un espace intérieur avec son bar et son large comptoir qui peut accueillir une ribambelle de coudes, du genre de ceux qui préfèrent dodeliner de la tête au fond de la salle, au chaud, près des tireuses. Pour les fumeurs et ceux qui usuellement ont passé leurs soirées étudiantes en appartement dans la cuisine (l'endroit où il ne se passe rien, et c'est finalement là que tout se passe), il y a un extérieur important, avec un camion à Pizza, et éloigné des habitations, donc aucun risque pour le bruit : Un véritable luxe en ville ! [...] "
Le disque de la semaine
2017 (David Larore - La Triperie)
Le livre de la semaine
Ci dessous (avec sa permission) le #254 :
Petit jeu : placez votre pouce sur la moitié d'un visage, n'importe lequel. Prenons pour exemple, la photo daguerréotypée d'Edgar Allan Poe (nda : celle de 1848, surnommée "Ultima Thule" , qui sert d'illustration à ce texte). Observez chaque partie, alternativement, et notez les différences de symétrie. Ce qui frappe immédiatement, c'est que chaque oeil a un regard différent. Pas comme ceux d'un caméléon, où ils bougent indépendamment l'un de l'autre, non, le pauvre Edgar aurait l'air particulièrement grotesque, ils vont bien dans le meme sens, et expriment la même émotion, mais chacun avec ses propres nuances.
Le poëte de Baltimore exprime un sentiment presque désinvolte. Il lève les yeux au ciel, et ce sont surtout le noir et blanc de la photo, les habits sombres, les poches protubérantes des paupières basses, et la moustache couvrant la lèvre supérieure , qui donnent l'impression de mélancolie générale de cette image. Mais regardez de plus près les effets de la dissymétrie sur l'hôte du corbeau. Si l'oeil droit exprime de francs rayons "d'homme-qui-veut-avoir-l'air-beau-sur-la-photo" vers l'objectif, le gauche, plus bas que l'autre, se rabougrit sous un sourcil tombant en diagonale, et envoie comme une sorte de faiblesse, de fragilité, et d'embarras que ne contient pas son partenaire. Amusez-vous à masquer l'un et l'autre plusieurs fois : les impressions se font plus flagrantes.
Vous pouvez répéter l'opération sur d'autres figures, la votre aussi. Vous vous rendrez compte que notre unique faciès est en réalité composé de deux visages, collés l'un à l'autre. Deux nous potentiels, qui additionnés, nous réalisent pleinement tels que nous sommes. Discordance anatomique, d'accord, mais aussi dualité de notre personnalité, présente de façon concrète, peut-être ? Puzzle perpetuel de la Vie ? Comme si l'assemblage des plusieurs personnes nécessaires pour en créer une nouvelle se voyait là, imprimé sur la face, trahissant leur présence par delà les attributs physiques hérités. Un visage parfaitement symétrique a en effet quelque chose d'inhumain, et évoque un caractère parfaitement plat, de robot, ou de je-ne-sais-quel porte-manteaux. Ce qui est clair, quant à nous, c'est que nous sommes tous des Janus. Meme si beaucoup sont de vrais trous-du-cul.
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