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Interview de Daniel Darc

<i>Interview</i> de Daniel Darc en concert

Le Cargo - Arles 12 Avril 2008

Interview réalisée le 21 avril 2008 par Stéphane Sarpaux

Little Big Man

Pour une fois dans une interview, plantons le décor car il a de l'importance. Après avoir été acceptée, puis, refusée, puis à nouveau acceptée la veille, l'interview de Daniel Darc a eu lieu samedi 12 avril au Cargo de nuit d'Arles deux heures avant le concert. On arrive un peu sur la pointe des pieds en se demandant à quelle sauce on va être mangé puisqu'on n'a pas forcément l'air d'être le bienvenu. Mais, on se trompe sur toute la longueur (on se trompe souvent dans ce métier). La petite équipe d'une dizaine de personnes est prête à passer à table, Doudou, le manager appelle Daniel qui arrive immédiatement et commande un Picon bière. Petit, légèrement voûté, des jambes étonnamment pliées, le visage coupé à la serpe, jean troué, tee-shirt avec un Elvis crucifié sur la croix, boots, Daniel Darc revient de loin et ça se voit."On va manger, tu viens avec nous, on fera l'interview pendant ce temps". Et nous voilà parti pour 1 heure de conversation totalement free jazz entre salade et chili con carne où il se montrera sous toutes ses coutures : avenant, curieux, désordonné, fuyant, passionné, tatoué, profondément humain et un rien dictatorial.



Vous avez déclaré avoir conçu votre nouvel album "Amours Suprêmes" en pensant au Love Suprême de John Coltrane. Pourquoi ?

Parce que Love Suprême, l'album que le Trane écrit en 1965, 2 ans avant sa mort, est pour moi l'un des plus grands disques de tous les temps. C'est un de mes disques de chevet. Parce qu'après, qu'est ce qu'on a inventé en musique ? Sans Coltrane, il n'y aurait pas eu Iggy Pop qui déclarait vouloir hurler comme le saxophone de Coltrane. Et sans Iggy Pop, il y aurait quoi aujourd'hui ? Le rock aujourd'hui, ça me fait chier, tous ces puceaux parisiens qui se la jouent, c'est de la merde. Moi, je ne suis qu'un recycleur, mieux un voleur. Et je préfère voler aux génies qu'aux merdeux.



Mais qu'est ce qui est free Jazz chez Daniel Darc ?

Les concerts. Demande à mes musicos, chaque soir, c'est différent. J'en ai rien à foutre de la mélodie, Je ne pose jamais ma voix au même endroit, je change les paroles de mes chansons, je cherche, je cherche comme Coltrane. Miles Davis, lui avait ce génie de trouver à chaque fois la bonne note, mais Coltrane, lui se consumait en cherchant nuit après nuit la bonne note. Moi aussi, je cherche la bonne note, le bon endroit. Et dans ma quête, j'ai besoin que le groupe joue comme un orchestre de jazz. Dans le rock, faut toujours se caler sur la basse, moi, j'aime bien entendre chaque instrument sur scène. Après, tout dépend de l'état dans lequel je suis.



Et dans quel état aimez-vous être sur scène ?

Je souffre de phobie sociale, tu sais. Quand je suis à jeun, c'est terrible, il ne faut pas être là, j'ai peur de tout le monde. C'est entre autre pour ça que j'ai pris du speed puis de l'héro. 15 ans de dépendance, 4 hépatites et je te passe les détails. Je suis clean maintenant. Mais faut pas rêver, je ne peux pas monter sur scène sans rien. Je picole encore, pas de vin, je préfère la bière, forte de préférence. J'ai besoin de ça pour m'ôter cette peur qui me hante.



Malgré ça, vous aimez la scène ?

J'adore la route surtout. J'aime être en décalage, dans mon propre espace temps. J'adore me réveiller sans me rappeler dans quelle ville on se trouve ou apprendre le ukulélé à 4 heures du matin. Et puis, il y a le groupe. Nous n'en sommes qu'à la neuvième date et on va jouer jusqu'à la fin août, dans les grands festivals. Mais contrairement à la tournée qui a suivi "Crève cœurs", là, c'est moi qui ai choisi mes musiciens. On forme une famille, un gang, comme celui d'Elvis à Memphis (là, il me sort sa carte d'adhérent du fan club d'Elvis et un fac-similé du permis de conduire du King qu'il garde comme une relique). Faudra que je revende toute cette merde. Je déteste les collections. Quand je rentre à Paris, je vais m'installer à l'hôtel.




Dans "Crève cœur", votre précédent album qui a marqué votre renaissance, le thème de la religion était très prédominant. Dans "Amours suprêmes", vous vous adressez plus à une femme ?

C'est la même chose. A l'époque de Crêve-cœur, j'étais encore dans cette foi du converti (Daniel Darc est un juif converti au protestantisme depuis une dizaine d'années). A chaque fois que je voyais un journaliste, je l'emmerdais avec ça. C'était plus fort que moi. Peut-être parce que mon baptême protestant a été la plus belle chose de ma vie... Avec mon premier shoot d'héroïne. Mais aujourd'hui, les doutes sont revenus. C'est d'ailleurs bien la preuve que j'ai la foi. Alors disons que sur Amours suprêmes, je ne suis plus habité, je suis en location.



Par quel processus d'écriture passez-vous pour écrire une chanson telle que "Serai-je perdu ?"

J'écris chaque jour, mais je jette 95% de ce que j'écris. Cette chanson, comme les autres, vient de ce qu'il reste. Plus jeune, je rêvais d'être écrivain. Hemingway, Bukowski, Kerouac font autant parti de mon panthéon personnel que Coltrane. J'ai essayé, je te jure, j'ai essayé durant des années, mais je n'arrive pas à développer une idée et à la suivre sur la longueur. C'est mon défaut. C'est l'un de mes défauts. Alors, j'écris des chansons. Mais, j'ai toujours en tête Léautaud qui disait "Il pue l'adjectif". Moi, je veux que mes chansons ne puent pas, je veux qu'il ne reste que l'essentiel.

Dans la condition humaine, André Malraux a écrit "La vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie". Est-ce que ça vous parle ?

Moi, la phrase que j'aurais voulu écrire, c'est Christophe Miossec qui l'a sorti : "Ne me secoue pas, je suis plein de larmes".



Ensuite, Daniel Darc m'a montré ses tatouages et notamment une croix qui occupe tout son dos ("Une croix trop lourde à porter qui pèse et m'écartèle" dans Je me souviens, je me rappelle"), m'expliquant ensuite qu'il avait totalement recouvert son bras gauche quand il avait vu "toutes les petites connes se faire des tatouages de dauphin sur l'épaule). Puis il m'a expliqué qu'au creux de son bras, il avait reproduit l'affiche de l'homme au bras d'Or, film de Preminger de 1952 avec Sinatra dans le premier rôle de junkie. J'ai touché son bras noirci, il était froid, mais dans son regard, il y avait le feu.

Photos : Chloro Phil


Merci à l'équipe du Cargo pour avoir rendu possible cette interview.

> Réponse le 24 avril 2008, par zeu western manooch

merci pour ce bout d'gras (et d'chili apparemment !) taillé avec DD, bande de veinards va ! Un bon moment de lecture en tout cas ! The rust never sleep!! Et c'est tant mieux !  Réagir


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